L’abbé Lucien Etienne est décédé le 19 mai 2012. Ses obsèques célébrées à la cathédrale de Montauban ont donné lieu à des témoignages et une homélie que nous reproduisons dans leurs intégralités.

Le 6 juin 2010, l’abbé Etienne avait envoyé une lettre annonçant : « je suis toujours là, je ne sais pas pourquoi, la vie éternelle arrive »… Il regrettait que nos nécrologies ne « rendent pas compte de la réalité ». ll est vrai qu’elles se rapportent au contenu d’une petite fiche sur laquelle figurent les nominations faites par les évêques successifs. « Les engagements pastoraux souvent importants ne sont mentionnés nulle part » écrivait l’abbé Etienne qui avait eu « l’idée de me transmettre les réalités de sa longue vie ».
En toute liberté, il fut un acteur important de la communication diocésaine. Qu’il en soit remercié.
Voici donc sa nécrologie qu’il avait préparée. Quant au plus important, cher père Etienne, le jour de vos obsèques, vos amis se sont chargés d’en parler !

JF Laparre,
Rédacteur en chef
du Bulletin catholique

L’abbé ETIENNE Lucien

  • Né le 6 février 1915 à Rieupeyroux (Aveyron)
  • Ordonné prêtre le 29 juin 1938, à la cathédrale de Montauban par Mgr Durand
  • Professeur au petit séminaire du sacré cœur Montauriol
  • Parallèlement, activités religieuses et culturelles à l’Institut Familial
  • Aumônier d’équipes d’action catholique, Joc d’abord puis Aci
  • En 1959, professeur à temps plein à l’Institut familial
  • En 1981, auxiliaire à Notre-Dame de la Paix
  • En 1991, auxiliaire à la cathédrale
  • En 2008, se retire à l’Ange Gardien, au faubourg Lacapelle
     

Décédé le 19 mai 2012

Obsèques le 23 mai 2012 à la cathédrale de Montauban
Ses cendres reposent à Rieupeyroux
 

Turbulent mais fidèle et aimant

Plusieurs témoignages vont présenter le père Lucien Etienne. L’oncle, le passionné de rugby, le talentueux professeur, le prêtre. Tout cela Lucien Etienne l’a vécu avec son intelligence subtile, son refus du conformisme, ses convictions bien arrêtées. Il avait un je-ne-sais-quoi voltairien que sa bonne humeur tempérait et que l’âge auquel je l’ai connu avait, sans doute émoussé, mais le regard malicieux et la répartie bien lancée le montraient encore redoutable. Mes rencontres avec lui ont toujours été un plaisir et son sourire et son accueil me font espérer qu’il sera reconnu par le Seigneur comme un fils turbulent mais fidèle et aimant.


+Bernard Ginoux
Evêque de Montauban
 

 L’au revoir de la famille

Nous voici réuni aujourd’hui pour dire un dernier au revoir à celui qui fut un oncle, un grand oncle, un prêtre, un professeur, un ami.
 L’abbé Etienne restera dans nos mémoires à tous cela ne fait aucun doute. Alors puisque ce souvenir est notre lieu commun aujourd’hui, pourquoi ne pas se souvenir ensemble ?

Souvenons-nous de cet homme qui naquit le 6 Février 1915, dans un petit village de l’Aveyron à Rieupeyroux, qu’il quittera pour venir s’installer à Montauban. Il sera ordonné prêtre dans cette cathédrale le 29 Juin 1938, aussitôt il sera nommé professeur au petit séminaire et ensuite il sera chargé de cours et d’animations spirituelles et culturelles à l’Institut Familial. Il sera nommé dans l’équipe sacerdotale de Notre Dame de la Paix jusqu’en 1991 ou il rejoindra la cathédrale jusqu’en 2008. Il va tout au long de sa vie s’intégrer à Montauban, participer à la vie de la cité, jusqu’à devenir une mémoire vivante.
Tout le monde le connaissait et l’aimait, comme un véritable pilier, gravé de l’histoire commune.

C’était le lien nécessaire à une famille unie, heureuse de se retrouver.
A tout le monde, le père Etienne a su transmettre son caractère combatif, sa ténacité, à grand renforts de longues conversations passionnantes et surtout d’un exemple toujours imité jamais égalé : le sien.

 Alors, à ton tour, souviens toi tonton, aujourd’hui ce n’est pas un adieu que nous t’adressons, car tu resteras prés de chacun de nous, juste à côté de notre cœur, comme un formidable personnage que l’on ne cessera jamais d’aimer.
 

Ce qu’il faut retenir de lui:
 « Lucien Etienne, prêtre »

par l’abbé Henri Viatge

Ses frères prêtres – et les paroissiens de ND de la Paix et de la Cathédrale qui ont eu la chance de l’avoir comme membre de leurs communautés, l’accompagnent aujourd’hui pour garder fidèlement cette belle figure d’un prêtre selon le concile Vatican II. Il aimait cette phrase du concile (Ministère et vie des prêtres N°22) qui a marqué toute sa vie: « L’Esprit-Saint pousse l’Eglise à ouvrir des chemins nouveaux pour aller au-devant du monde d’aujourd’hui… avec les adaptations qui s’imposent ». Fidèle pour cela à l’Eglise, à ses évêques successifs et à tous ses frères prêtres, il s’est voulu proche de tous ceux qu’il a rencontrés – ils ont été très nombreux dans l’Eglise et hors de l’Eglise ! Avec tous il se montra particulièrement libre – rayonnant sa foi – non pas tellement par les rites liturgiques (ce n’était pas sa spécialité !) mais par une qualité de présence, d’écoute et de dialogue que l’on retrouvait des ses homélies courtes et incisives, qu’il appelait souvent des méditations pour mettre l’esprit de l’Evangile dans le concret de la vie.
 

Pour ses 80 ans, en 1995, il voulut passer – en solitaire – un mois à Jérusalem, là où il avait conduit tant de pèlerins, pour faire le point. Et cela en lien avec ses jubilés qui nous ont tant marqués: 50 ans de sacerdoce en1988 à N-D de la Paix et à l’U.S.M. – 70 ans de Sacerdoce ici à la cathédrale en 2008. Jubilés, témoins de son immense réseau de relations, de son sens du contact et de son amitié pour tous ! De Jérusalem il envoya une photo où on le voit près de l’esplanade du Temple, sur les ruines de Sion, avec en fond le mont des Oliviers. Et lui qui ne semblait pas porté à des élans mystiques écrivait au dos de cette photo ce verset du psaume 125: « Qui s’appuie sur le Seigneur ressemble au mont Sion: rien ne l’ébranle, il est stable pour toujours ! » Voilà qui résume bien toute la vie de Lucien Etienne, prêtre et qui est symbolisé par l’aube et l’étole du prêtre déposées maintenant sur son cercueil ».
 


L’hommage d’Alain Visentini

Très cher Père Etienne,

J’ai l’honneur de m’adresser à vous, aujourd’hui pour témoigner devant tous, au nom de vos anciens élèves et collègues, comment et combien vous fûtes pour de nombreuses générations un père, un maître, un guide intellectuel et spirituel, phare et mer de resplendissante clarté dans les mers démontées du siècle passé et les incertitudes de celui qui a commencé. Nous fumes souvent cette jeunesse exigeante et curieuse, souvent inquiète et parfois désespérée qu’enfanta un siècle terrible, lourd de guerres et de révolutions et vous fûtes, père, continûment une référence humaine, humaniste, spirituelle : rien de ce que fait l’homme, des antiques siècles à nos jours ne vous fut étranger. Au Petit Séminaire ou à l’Institut Familial, lire Antigone avec le professeur de grec que vous fûtes, nous interrogeait sur le pouvoir, sur le devoir, sur la grandeur de l’engagement et des choix courageux. Et lire Desnos ou Aragon avec le professeur de lettres que vous avez été, nous éclairait sur la nécessité de voir que la vie était belle, envers et contre tout, envers et contre tous, malgré les malheurs venant des hommes et les colères que l’on prête à Dieu. Albert Camus avait vos préférences et l’on se souvient que notre jeunesse se rendait complice d’aimer avec vous cet auteur que vous osiez introduire dans nos écoles encore trop fermées : pour vous, la sensualité et le bonheur d’exister très païens, la passion d’être pleinement heureux, ici et maintenant, n’étaient rien d’autre que l’enthousiaste louange au Créateur qui fit ciel, terre et mer si beaux.

S’il est vrai, comme on le dit parfois, que la jeunesse aime le risque, alors toute votre vie fut de jeunesse guidée : d’abord, intellectuel critique et brillant, le risque de croire fut l’un de vos plus beaux paris ; et aux jeunes dont vous fûtes le guide, vous lanciez le défi d’éclairer sa foi à la lumière de la raison. Ensuite, des risques, vous en preniez aussi dans votre vie, dans vos voyages ; et nous admirions les exploits de ce prêtre tellement différent que les questions que nous nous posions sur son courage (que parfois nous prenions pour une inconscience un peu atypique), déterminaient déjà les réponses que nous inscririons dans nos projets de vie : qui ne se souvient, par exemple, que votre curiosité de comprendre la machine infernale du matérialisme athée communiste ne vous poussa à franchir dangereusement, à Moscou, les portes glacées du KGB soviétique ? Il y eut enfin-et surtout- chez vous, le risque de l’œcuménisme et de la tolérance qui fut tout sauf lâche tiédeur ou pactisation opportuniste : vous nous montriez, en effet, que vous pouviez échanger de fructueux dialogues avec des hommes qu’ a priori tout séparait de vous : vous avez eu pour amis des hommes aussi prestigieux et différents que le Cardinal Marty et René Mauriès et les nombreuses amitiés que vous aviez su nouer à La Dépêche du Midi ou au stade de Sapiac constituent un bel exemple de liberté, d’ouverture d’esprit et de respect des différences que notre jeunesse admira et dont elle fit modèle.

Cher père, le grand homme que vous étiez, dans sa modestie et sa sagesse, aimait à clamer de sa manière incantatoire et lapidaire, ces trois mots latins « quia pulvis es » (parce que tu es poussière). Et à l’heure ou vous retournez poussière, il me revient encore cette citation des Pensées de Pascal que vous commentiez en classe : « La grandeur de l’homme est grande en ce qu’il se connaît misérable (….) c’est être grand que de connaître qu’on est misérable ».

Homélie de l’abbé Jordi Passerat
« Fort bien, Maître » Mc 12,32

Jésus appartenait au monde des rabbis, des maîtres de la Loi, et ce récit d’évangile nous le montre dans l’exercice de son enseignement à une époque où le catéchisme se faisait uniquement par questions-réponses. Que de fois dans sa longue carrière d’enseignant, l’abbé Etienne a dû dire à un garçon du séminaire ou à une fille de l’Institut : « Bravo, mon petit, tu a bien répondu ! » La première qualité d’un maître c’est la bonté, la capacité à reconnaître chez un élève toutes les possibilités de s’épanouir, en l’aidant à forger sa personnalité et à devenir un adulte. Pour cela, il faut une grande confiance en l’avenir afin de donner à chacun et à chacune les clefs pour devenir autonome et responsable. Cet optimisme a envahi Lucien Etienne dès les premières années de sa vie et de sa jeunesse dans son rude Ségala, au moment de la Grande-Guerre. La vie des champs était pénible mais le bonheur familial rendait l’existence du petit Lucien sereine et heureuse : L’ostal qu’i soi nascut n’es pas ni riche ni paure, disait l’abbé Bessou, le chantre de la vie paysanne dans son recueil, très répandu en Rouergue, D’al brès à la tomba : E i avèm pas patit, mai que dins un castèl, Los potons, l’aiga fresca e lo pan dal cantèl.
[La maison où je suis né n’est ni riche ni pauvre, Et n’y ont point manqué, autant que dans un château, Les baisers, l’eau fraîche et le pain sur la table]
Jusqu’à son dernier souffle il a aimé évoquer ces symboles simples de son enfance heureuse que sont les châtaignes et les champignons dans les bois, les répounchous et les fleurs sauvages, si joliment concentrés pour lui dans ce vers fameux de Victor Hugo :Un bouquet de houx blanc et de bruyère en fleur.

Le jeune séminariste a été impressionné par la forte personnalité du curé de Rieupeyroux, l’abbé François Marty, le futur cardinal de Paris : chez les deux hommes on retrouve le même accent rocailleux, la même verve et surtout la même bonhommie naturelle, avec cet humour permanent qui vous amène à envisager les choses de la vie avec sagesse et détachement. Le cardinal Marty aimait dire : « Un arbre qui tombe fait plus de bruit qu’une fleur qui pousse ». Lucien Etienne a appris à devenir jardinier des cœurs et des consciences en se dépensant au service des jeunes : il a toujours aimé la jeunesse et le monde moderne. Lui, le brillant professeur de Lettres, pétri d’Humanités et de Rhétorique, de latin, de grec, de littérature et d’histoire , il était avant tout passionné par son époque, le XXe siècle, commencé en 1914 disent les historiens, qu’il a traversé dans toute sa longueur jusqu’à l’aube du Troisième Millénaire : il était fier d’être abonné au journal Le Monde depuis son premier numéro. Je me souviens du jour où il est allé à la gare de Montauban acheter son billet pour se rendre à Vladivostok, jusqu’au bout de la ligne du Transsibérien!

Cette passion pour le temps présent a fait de lui un véritable acteur de la vie montalbanaise. Il faisait partie des figures de Montauban, depuis la hauteur de Montauriol et sa résidence au Petit-Séminaire du Sacré-Cœur, les rues du centre-ville, avec les bureaux de la Dépêche et la librairie Deloche, jusqu’à la plaine chère à son cœur ; il aimait citer le mot apocryphe de Napoléon contemplant du haut de la Côte Torte la cuvette de Sapiac : « Quelle belle plaine pour des batailles futures ! »

Cet homme, à l’extérieur un peu insolite, qui se moquait de son look, avec sa soutane élimée ou son imperméable et sa bicyclette légendaire, possédait une intelligence vive, un jugement clair, un brillant esprit de synthèse, qui faisaient de lui un admirable commentateur des chefs d’œuvres de la littérature inscrits au programme du baccalauréat : depuis la scène charmante de Nausicaa dans l’Odyssée, en passant par Blaise Pascal et jusqu’à Camus et Malraux. Son écriture rapide et hachée convenait parfaitement pour commenter l’actualité et pour rédiger des articles dans La Dépêche du Midi.

Durant toute sa vie il fut un homme libre, toujours proche des évêques de Montauban qui l’ont encouragé dans ses diverses activités. Pour se définir il citait ce vers fameux de Pierre Corneille : Je suis maître de moi comme de l’univers. (Cinna, Acte V, 3).

Cette liberté, il l’a reçue dans sa formation à l’Institut-Catholique de Toulouse, auprès de Mgr Bruno de Solages et de l’abbé René de Naurois, au séminaire Pie XI : grâce à ses maîtres toulousains, il fut averti très tôt des dangers du nazisme et ceci explique le rôle qu’il a joué dans le foyer de résistance spirituelle constitué à Montauban, autour de Mgr Théas et de Marie-Rose Gineste. Jusqu’à son dernier souffle, il a témoigné auprès de nombreux jeunes qui préparaient de masters ou des thèses sur le thème de la Résistance à Montauban. Il meurt en même temps que Lucien Aubrac et les derniers témoins de cette époque héroïque, et au moment où l’avenir de l’Enseignement catholique à Montauban est symbolisé par le nouveau Lycée Pierre-Marie Théas.

« Tu n’es pas loin du Royaume de Dieu » dit Jésus au jeune scribe qui cherche la vraie religion. L’abbé Etienne a témoigné simplement, par sa seule présence, mais aussi par sa parole et ses articles de journaux, d’une passion intérieure, celle qui lui a fait consacrer sa vie au Christ, en toute confiance et sans jamais douter de son choix. Grâce à lui, de nombreux croyants comme des incroyants, «celui qui croyait au ciel et celui qui n’y croyait pas », selon la formule du poète Louis Aragon, ont vécu de belles aventures de l’esprit, des émotions fortes et des passions, dans un climat de dialogue et d’amour fraternel.

« Fort bien, Maître ! » ai-je envie de vous dire avec mon cœur de prêtre, éduqué à votre école, en rappelant que tous les prêtres de ce diocèse de Montauban, comme aussi deux évêques, qui ont connu le Petit-Séminaire, depuis la rentrée de 1938 jusqu’en 1966, ont été formés par vous. Vous nous avez appris, comme aux jeunes de l’Institut-Familial, à vivre heureux sous le soleil de Dieu, à bâtir notre vie sur les valeurs de l’Evangile, en tenant le journal d’une main et la Bible de l’autre, en respectant toutes les personnes, et en vivant à l’abri des conflits dans la paix des cœurs et des esprits.

Je vous imagine bien en cet instant, en train de rouler en boule votre imperméable, de jeter au loin sans ménagement votre canne devenu inutile, de pousser votre cri de victoire habituel WOUAHHHH !!!!, en faisant un signe de la main pour écarter tout commentaire superflu, et de prendre votre billet d’entrée au guichet de la maison du Père, celui de votre foi solide, de votre consécration qui vous a configuré au Christ prêtre, et de vous avancer avec assurance vers la prairie du Royaume des cieux. Dans les tribunes d’honneur une foule d’anges et de saints se réjouit et vous applaudit : car un petit homme s’avance il dépose le ballon de sa vie sur la pelouse, et hop, le ballon s’envole, il passe entre les deux poteaux et soudain, il se change en un oiseau majestueux qui monte très haut, jusqu’au par delà les nuages, échappant à nos regard, une banderole se déploie dans le ciel où sont écrites ces paroles de feu : « Je sais moi que mon Libérateur est vivant, avec mon corps je me tiendrai debout et de mes yeux de chair, je verrai Dieu ». Job 19, 26-27

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