Noël dans le cloître de Moissac
Debout au portail de l’abbatiale Saint-Pierre de Moissac, le prophète Isaïe nous a déjà introduits au temps de l’Avent.
Il nous a présenté les scènes sculptées dans l’ébrasement à droite du tympan, illustrant la fameuse prophétie : Voici que la Vierge concevra. Ce grand mur nous a ainsi montré : l’Annonciation, la Visitation, la Nativité, l’Epiphanie, la Présentation et la Fuite en Egypte.
L’annonciation et la Visitation
Dans le cloître, trois chapiteaux évoquent le mystère de Noël.
L’Annonciation et la Visitation occupent la face sud du demi-chapiteau qui est accolé au pilier de l’angle nord-est. Elles sont évoquées avec une grande sobriété, réduites à l’essentiel, avec chaque fois deux personnages : l’ange et Marie puis Marie et Elisabeth. On peut remarquer l’attitude des deux cousines qui s’embrassent affectueusement alors qu’au portail elle s’inclinent respectueusement.
D’autres représentations romanes de l’Annonciation, mettent en scène une servante témoin de l’événement. A Conques elle reçoit la quenouille que Marie, en train de filer la laine ou la soie, lui remet discrètement pour être plus attentive aux paroles de l’ange. Ici, nous voyons un personnage féminin très discret, à gauche, sur la face ouest, tandis qu’à droite se tient un ange dont l’index levé et démesurément grand, semble souli-gner l’importance du message
Entre les deux scènes, au centre de cette face, trône une construction importante qui ne manque pas de nous intriguer. D’allure romane, elle s’appuie sur deux colonnes surmontées de leurs chapiteaux et reliées par un arc en plein cintre à double voussure.
Cet édicule représente sans doute le ciborium qui dans de nombreuses églises, soulignait la place et l’importance de l’autel. Une suspension eucharistique tenait lieu de tabernacle. Nous voici appelés à faire le lien entre la fête de Noël et l’Eucharistie, qui nous parlent toutes deux de la Présence de Dieu parmi les hommes. En latin tabernaculumsignifie tente et dans le désert la présence de Dieu qui cheminait avec son peuple, se manifestait dans la Tente de la Rencontre (Ex 33/7).
Avec l’Incarnation qui commence par le oui de Marie à l’Annonciation, Dieu est présent dans le monde par son Fils Jésus Christ quand le Verbe s’est chair et sa présence se continue dans l’Eglise par l’Eucharistie.
L’annonce aux bergers
Dans la galerie ouest, un deuxième chapiteau évoque Noël en nous montrant l’Annonce auxBergers, On est frappé quand on lit ce récit dans l’évangile de saint Luc (2/1-21) de la place faite, une trentaine de fois, à ces rustres, pauvres parmi les plus pauvres, qui sont les premiers confidents de la Bonne Nouvelle.
La face sud du chapiteau nous montre l’Ange de lumière face au berger appuyé sur son bâton. L’inscription sur le dé central Angeli Pastores = Anges Bergers ne laisse aucun doute sur leur identification. Un chien saute de joie et veut presser son maître de courir à la Crèche. Le troupeau est évoqué par trois animaux superposés sans aucun souci de la perspective : un porc, un bœuf et un âne. Le berger va les abandonner pour aller à la recherche d’un autre Agneau…
L’Ange particulièrement imposant, tient dans sa main un disque rond marqué d’une croix qui pourrait bien symboliser une hostie et mettre ici encore, le mystère de Noël en lien avec l’Eucharistie.
Sur la face ouest, un berger les bras levés dans l’attitude de la prière, est en train de louer Dieu et de le glorifier, prenant ainsi le relais des anges qui, dans nos campagnes, avaient entonné l’hymne des cieux…
La face nord met le Christ de Noël en lien avec Daniel que l’on voit tranquillement assis, priant entre deux lions. Puisqu’il a échappé à la dent des fauves chargés de le dévorer, il est l’image du Sauveur ressuscité
L’adoration des Mages et le massacre des Saints Innocents
Un troisième chapiteau, dans la galerie située à l’est, nous présente deux scènes tout à fait opposées : l’Adoration des Mages et le Massacre des Innocents, une vision de paix, d’offrande et d’adoration en contraste avec une scène de massacre, d’horreur et de sang. Les deux évènements rapprochés dans le temps le sont dans la célébration puisque la fête de Noël le 25 décembre est suivie de près par le souvenir des Saints Innocents le 28. On n’en finirait pas de souligner les contrastes entre les Magesqui viennent du lointain Orient adorer l’Enfant et sa Mère sans savoir où est la Maison, et les Juifssavants qui citent la Bible mais qui ne bougent pas d’un pouce, entre le roi Hérode sanguinaire et Jésus le Roi de Paix…
Ces oppositions sont inscrites dans la composition même du chapiteau qui est comme partagé d’est en ouest par deux tours carrées et massives, l’une représentant la petite bourgade de Bethléem, l’autre la capitale Jérusalem. On va ainsi d’un côté, de Jérusalem à Bethléem pour adorer, de l’autre pour massacrer.
La face nord nous montre en effet, près de Jérusalem, les encolures de trois chevaux, les montures des Mages guidés par leur bonne étoile d’abord brillante puis qui s’éteint au-dessus de l’endroit où se trouve Jésus. Ils sont là tous les trois, avec leurs manteaux qui flottent au vent dans l’impétuosité de leur démarche et ils apportent leurs présents à l’Enfant sur les genoux de sa Mère. Cette dernière sculpture est très abîmée ; on devine avec peine la Vierge en Majesté assise sur un trône aux montants dressés verticalement comme le siège lui-même. Quel dommage car ce serait un bijou semblable à ces Vierges romanes que l’on voit en Catalogne ou en Auvergne, si peu mignonnes mais tellement dignes !
La face sud nous montre Hérode sur son trône, avec au-dessous le renard auquel Jésus l’a un jour comparé. A sa gauche et près de la tour de Jérusalem, un mauvais génie – une des rares têtes qui ait échappé au marteau des vandales, ce qui ne manque pas d’humour dans une scène de massacre – lui parle à l’oreille, peut-être pour le conseiller comme s’il en avait besoin ! Le roi donne à un soldat l’ordre du massacre ; au centre, deux femmes aux yeux exorbités par la peur, serrent dans leurs bras les enfants que veut leur arracher un autre soldat. La tuerie a déjà commencé car, près de la tour de Jérusalem, gisent avec un réalisme macabre, les morceaux déchiquetés des corps des petites victimes.
Tout le mystère du Mal est ainsi évoqué : il nous plonge dans la réalité de notre monde auquel Noël annonce pour Dieu, au plus haut des cieux, la Gloire, et sur la terre, pour les hommes qu’il aime, la Paix
Texte et photos : P. Sirgant