TRIBUNE | Abbé Pierre : le Président de la CEF s’exprime

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Publié le 16 septembre 2024

Les déclarations du Pape au sujet de l’Abbé Pierre, au retour d’un voyage de douze jours en Asie du Sud-Est, ont relancé l’émoi dans une France déjà sidérée par les effroyables révélations successives qui ont brisé l’image de celui qui avait été tant de fois désigné « personnalité préférée des Français », de celui surtout dont la voix et l’exemple avaient transformé le regard sur les personnes en précarité et avaient encouragé tant de Français à s’engager pour des causes aussi importantes que la lutte contre le « mal logement ».

Comme Président de la Conférence des évêques de France, je voudrais partager trois convictions et interrogations:

  1. Il est désormais établi que, dès 1955-1957, quelques évêques au moins ont su que l’abbé Pierre avait un comportement grave à l’égard des femmes. Des mesures ont été prises, dont une cure psychiatrique. On peut les juger insuffisantes, on peut regretter qu’elles aient été gardées très confidentielles. Elles représentent cependant une réaction forte au regard des manières de faire de ce temps, dans l’Église sans doute, mais aussi dans la société entière. Un adjoint (socius), notamment, a été imposé à l’abbé Pierre. Il semble que l’abbé Pierre se soit ingénié à tromper cette surveillance. Des questions doivent être traitées sérieusement : ce socius a-t-il fait des rapports ? Si oui, à qui ? Qu’y a-t-il dit ? Combien de temps a duré cette mission ? Que s’est-il passé lors du retrait ou de la mort du prêtre ainsi nommé ? Pendant les cinquante années suivantes de vie de l’abbé Pierre, comment l’inquiétude à son propos et les mesures à prendre à son égard ont-elles été transmises ? C’est pour aider à faire la lumière sur ces questions et sur d’autres que la Conférence des évêques de France, comme je l’ai annoncé jeudi dernier, a décidé de lever le délai de communicabilité des archives qui dépendent d’elle concernant l’abbé Pierre. Je forme aussi respectueusement le vœu que le Vatican se livre à une étude de ses archives et dise ce que le Saint-Siège a su et quand il l’a su. Je réaffirme ici le travail de l’Église en France pour que la vérité soit faite sur les faits d’agressions et de violences sexuelles comme aussi sur les faits d’emprise spirituelle, et pour revoir ses fonctionnements. J’appelle toutes les autres institutions et organisations à en faire autant. Nous devons cela aux personnes victimes.


  2. Il est établi aussi désormais que l’on savait, au moins dans certains cercles d’Emmaüs, l’abbé Pierre étant encore vivant, qu’il devait être surveillé parce qu’il était dangereux pour les femmes qui s’approchaient de lui. Or, des biographies nombreuses et fouillées ont été écrites sur l’abbé Pierre et des films ont été réalisés à son propos, de son vivant et après sa mort. Aucune de ces études, aucun de ces films ne laisse apercevoir qu’il se livrait à des agressions sexuelles. Cela doit être interrogé. On a pu lire que l’Église avait « starifié » l’abbé Pierre. Mais de qui parle-t-on quand on dit ainsi : « l’Église » ? Des hommes, des femmes, évêques ou non, ont su ou n’ont pas su, ont vu ou n’ont pas vu, ont agi ou n’ont pas agi, ont parlé ou se sont tu. Des journaux, des magazines, des cercles variés, y compris politiques, ont érigé l’abbé Pierre en figure sociale et construit pour lui, à partir des années 1990, une nouvelle stature de « personnalité préférée des Français ». Aucun de ces organismes-là ne semble se demander pourquoi aucune personne victime n’était alors venue lui parler. Désormais, elles le font. À travers la CORREF ou la CEF, à travers les cellules d’écoute des diocèses et des congrégations religieuses, à travers une ligne dédiée chez France-Victimes, à travers la CRR et l’INIRR, les instances de reconnaissance et de réparation mises en place respectivement par les religieux et religieuses et par les diocèses, les personnes victimes peuvent enfin parler avec l’assurance d’être entendues et accompagnées. C’est un immense progrès social. Nous l’avons accompli sous la pression notamment de « la Parole libérée » et grâce en particulier à nos rencontres avec des personnes victimes. Nous l’avons fait ; nous le faisons. Je le redis aussi, car je l’avais écrit en juillet dernier : en juillet 2022, un historien qui avait travaillé pour la CIASE m’a écrit pour m’avertir que la CIASE avait recueilli trois témoignages de femmes agressées par l’abbé Pierre. Il avait été fixé entre la CIASE et les évêques et les religieux et religieuses que celle-ci ne nous donnerait pas d’éléments sur les témoignages reçus, mais encouragerait les personnes à nous parler. Il a fallu attendre trois ans. Le temps des personnes victimes doit être respecté. Surtout, il faut créer un climat commun qui leur donne confiance. Je leur exprime ici ma proximité et les assure de ma détermination à ce que leur parole produise un effet.


  3. Par choix personnel, l’abbé Pierre a presque toujours vécu à distance de tout cadre proprement ecclésial. Mettre en cause l’Église et le célibat sacerdotal n’est pas à la hauteur de ce que les agressions sexuelles commises par l’abbé Pierre nous obligent encore à voir. Le rapport de la CIASE, à la demande de la Conférence des évêques et de la Conférence des religieuses et religieux de France, a comporté une étude en population générale qui a fait apparaître la forte proportion de personnes, tant femmes que hommes, agressées dans leur enfance. Les mouvements #MeToo rendent publiques les violences dans les relations entre adultes dans toutes sortes de milieu. Ne croyons pas tenir un jour un coupable sur qui l’on pourra faire reposer tout le poids de l’opprobre. Nous découvrons plutôt qu’il y a une violence toujours possible qu’il faut travailler intérieurement à maîtriser et à déployer autrement en force de service, de respect, d’unité. Assurément, les sordides faits dévoilés désormais obligent l’Église, c’est-à-dire les évêques, les diocèses, les paroisses, les fidèles laïcs, les prêtres, à y veiller davantage. Mais c’est toute la société qui doit s’interroger sur ce qu’elle montre de la sexualité aux jeunes générations, sur ce qu’elle prépare et comment elle les prépare à vivre des relations qui les rendent toujours mieux humains. Chercher des coupables est une chose. Comprendre comment un homme a été laissé à ses pulsions mauvaises est un travail nécessaire. Réfléchir à ce qu’est la sexualité et à la manière d’en vivre au mieux est un défi à relever à l’échelle de la société entière.

Le Monde, 14 septembre 2024

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