Par l’Abbé Thierry Farenc, Responsable diocésain de la Commission d’Art Sacré et Curé de l’Ensemble paroissial Montauban Villebourbon

Depuis quelques décennies le sacré a mauvaise presse. Mais ces derniers temps il est carrément accusé de tous les maux. L’injure suprême étant la sacralisation du prêtre. Pendant que dans l’Église certains mettent tout en œuvre pour nier le sacré, d’autres dans le monde « profane » espèrent plus ou moins adroitement le retour du sacré (cf. « Reconquérir le Sacré » de Sonia Mabrouk. ). Que peut-on dire succinctement ?

De façon très large…

            De façon très large, le sacré désigne un objet consacré à une divinité, un geste religieux ou la célébration des mystères. Il se caractérise par une opposition, une séparation vis-à-vis du profane. Par le ressenti de sa finitude, de ses limites, l’homme religieux aspire à tout autre chose qui s’exprimera par sa différence avec lui, au temps et à l’espace de son univers. Ce monde tout autre va être appelé divin, les dieux, Dieu… Le sacré devient ainsi un attribut divin.

Dans la religion chrétienne…

            Dans la foi chrétienne, Dieu n’est pas un vis-à-vis de l’homme. Si Dieu seul existe par lui-même et en lui-même et si sa création ne peut ni l’enrichir ni le diminuer, il n’en reste pas moins qu’il prend l’initiative d’une alliance (auteur et partenaire) avec l’homme. Il choisit pour cela un peuple qu’il met à part, qui devient son bien propre, à qui il révèle son Nom et qu’il appelle à se sanctifier car lui est Saint.

Dans le Nouveau Testament, l’Incarnation va amener l’Ancienne alliance à son accomplissement et le Christ est le médiateur unique entre la Sainteté essentielle de Dieu et la sanctification conférée par grâce à l’homme, par laquelle celui-ci peut répondre à Dieu. On voit bien que le sacré et le profane ne peuvent plus être pensés comme une rupture entre un monde profane et un monde divin puisque par son incarnation le Christ unit la nature divine à la nature humaine pour que celle-ci puisse se sanctifier, se diviniser. Mais en même temps, cette union (hypostatique) s’oppose à toute confusion entre Dieu et le monde. Par la nature humaine que le Christ a revêtue, l’humanité est ordonnée à Dieu. Pour le Chrétien l’autonomie du monde temporel qui a ses propres lois ne peut être comprise que dans sa dépendance de Dieu (Voir Gaudium et Spes 36).

Sacré et Sainteté…

Il nous faut donc penser le sacré en lien avec la sainteté chrétienne sans le « chosifier » et le limiter dans l’espace et dans le temps. Une église n’est pas sacrée en tant que construction localisée mais parce qu’elle est un lieu mis à part pour être l’image de l’Église, faite de pierres vivantes reposant sur les fondations des apôtres, et pour être l’image des chrétiens, temples de Dieu consacrés à son culte par l’onction du baptême. C’est en cela que l’on peut la qualifier comme étant le lieu de la présence ineffable du Seigneur.

Il ne s’agit donc pas de considérer des lieux, des objets, des vêtements etc. comme étant sacrés sans les rattacher à ce qu’ils signifient. L’autel est sacré car il est le lieu où se trouve actualisé l’unique Sacrifice de la Croix. On ne peut donc pas l’utiliser à d’autres fins. Le chœur de l’église, ou sanctuaire, est le lieu où la liturgie de la terre et du ciel ne font plus qu’un. Cet espace sera donc mis à part, réservé, séparé de l’ensemble de l’édifice. Il doit être identifié (et donc matérialisé) comme le lieu où les différents ministres y exercent leur fonction propre. Les vases sacrés (calice, patène, ciboire, etc.) qui reçoivent le Corps et le Sang du Christ sont bénis pour servir uniquement à célébrer le Sacrifice de l’Alliance Nouvelle.

De la sacralisation des personnes…

Qu’en est-il de la sacralisation des personnes ? Dans notre approche du sacré nous avons glissé vers la notion de sainteté. Les deux sont étroitement liés. En effet, notre vocation nous appelle à devenir saint comme Dieu est Saint. Cette sainteté consiste à rendre à Dieu le culte qui lui est dû, à grandir dans sa connaissance et son amour, à aimer notre prochain comme Jésus nous a aimés. Or, Jésus nous a aimés jusqu’au don de sa vie exprimé dans sa plénitude par le Sacrifice de la Croix. Cet amour de Dieu et du prochain nous en puisons la grâce en nous associant au Sacrifice du Christ. Dans la messe nous réalisons le Sacrifice non-sanglant du Jeudi-Saint (exprimé par la séparation du Corps et du Sang du Christ posés sur l’autel) qui rend présent l’unique Sacrifice sanglant de la Croix. En même temps, le prêtre s’offre en sacrifice ainsi que toute l’assemblée.

L’expression sacramentelle du Saint-Sacrifice de la messe est l’expression la plus sublime du mystère de la croix. Tout ce qui constitue les conditions de ce sacrement, les personnes et les objets sont sacrés, mis à part pour une telle action de grâce.

Le jour de notre baptême, purifiés de la tâche originelle, nous avons revêtu le Christ et nous sommes devenus participants de la vie trinitaire. Nous sommes devenus membres du Corps du Christ (l’Église) et nous avons reçu la grâce sanctifiante. Oints de l’huile sainte, nous sommes devenus prêtres, prophètes et rois. Nous participons au sacerdoce du Christ. Ce sacerdoce commun (Lumen Gentium) fait de nous un peuple sacré, mis à part pour Dieu.

Par l’ordination, le prêtre est consacré en vue d’être configuré au Christ-tête de ce Corps dont il est mis à part pour le sanctifier, l’enseigner et le gouverner. « Celui qui a reçu le sacerdoce ministériel jouit d’un pouvoir sacré pour former et conduire le peuple sacerdotal, pour faire, dans le rôle du Christ, le sacrifice eucharistique et l’offrir à Dieu au nom du peuple tout entier ; les fidèles eux, de par leur sacerdoce royal qui est le leur, concourent à l’offrande de l’Eucharistie et exercent leur sacerdoce par la réception des sacrements, la prière et l’action de grâces, le témoignage d’une vie sainte, et par leur renoncement et leur charité effective. » (Lumen Gentium N°10)

Alors, OUI le baptisé est sacré, OUI le prêtre est sacré, mis à part pour participer chacun selon son mode propre à l’unique sacerdoce du Christ. L’oubli de cette sacralisation ouvre la porte à toutes les dérives chez le baptisé dans son sacerdoce baptismal et chez le prêtre dans son sacerdoce baptismal et ministériel. La désacralisation nous fait oublier notre mise à part par Dieu et pour Lui.

De la confusion du sacré et de la sainteté…

Par contre, la crise actuelle repose sur le fait que nous confondons sacré et sainteté. Le jour de notre baptême nous avons reçu la grâce sanctifiante en vue de la sainteté. Le jour de son ordination le prêtre ne devient pas un saint, mais il reçoit en même temps la grâce par l’exercice de son ministère de grandir en sainteté.

Désacraliser le baptisé, désacraliser le prêtre les entrainent dans l’oubli de leur vocation à la sainteté. Si nous désacralisons les lieux de culte, les objets, les vêtements nous perdons le sens de la Sainteté de Dieu. Faire du prêtre un saint (comme du baptisé d’ailleurs) peut le conduire à toutes les dérives. Respecter le prêtre dans sa sacralité (comme le baptisé) c’est lui rappeler ce qu’il est et sa vocation à la sainteté. Un peu d’humour : la patène est sacrée car c’est une « petite assiette » mise à part pour qu’y repose le Corps du Christ. Mais elle peut être cabossée par les chutes… elle n’est pas parfaite ! Le prêtre est sacré par sa mise à part dans sa configuration à l’unique Pasteur, mais il est cabossé comme tout baptisé !

Il est donc important que tout ce qui concourt à rendre à Dieu le culte qui lui est dû soit sacralisé, mis à part pour que la Sainteté de Dieu soit honorée et que le peuple de Dieu grandisse en sainteté.