Le 9 septembre dernier a eu lieu la rentrée des Services diocésains. Placée sous le signe du “Kérygme”, Mgr Alain Guellec a donné les grandes orientations de l’année pastorale 2023-2024.
La « Démarche Kerygma » vise à mettre en lumière la nécessité d’une « annonce kérygmatique » qu’on peut appeler aussi « première annonce », dans toutes les activités pastorales.
Nous le savons bien, notre raison d’être est toujours l’annonce de la Bonne Nouvelle. Il y a bien sûr des spécificités selon les activités pastorales, mais il est bon aussi de se rencontrer, pour tisser, approfondir des liens entre nos différents services, pour forger une vision commune et pour servir ensemble la mission dans notre Eglise diocésaine. Mission et communion s’appellent mutuellement.
Pour les services diocésains en particulier, je note l’importance de faire des ponts et d’éviter de travailler de manière trop séparée.
Importance de se connaitre et de se faire confiance.
Importance aussi que les services puissent mettre les personnes en relation, selon les demandes exprimées.
Je pense, par exemple au catéchuménat et à la préparation au mariage et aussi à l’éveil à la foi et à la catéchèse.
En ce sens, il faudra aller vers une pastorale plus unifiée et décloisonnée.
Une nouvelle année pastorale : contexte et défis
Je ne vais pas me livrer à un inventaire de l’état complexe du monde et de notre société et de l’Eglise. Un tel tableau est toujours contrasté.
Mon propos n’est pas de faire un descriptif et une analyse de la situation, ni d’entrer dans une démarche sociologique.
Nous entendons et voyons beaucoup de motifs d’inquiétude qui peuvent mener au découragement : violence, guerres, conditions et bouleversement climatique…un certain désenchantement.
Parmi tous les motifs d’inquiétude, nous pouvons citer, entre autres, les projets de lois sociétales, les questions anthropologiques – le transgenre – et les questions éthiques, les questions autour de la famille, les questions environnementales.
Nous sommes dans notre société marquée par un pluralisme qui peut conduire aussi au relativisme. C’est ainsi que le pluralisme religieux est une donnée de fait.
On peut résumer ce contexte, dans cette ambiance, en disant que la première place est occupée par ce qui est extérieur, immédiat, visible, rapide, mais aussi superficiel et provisoire.
Une ambiance générale faite d’incertitudes, y-compris sur le regard que certains portent sur l’Eglise. Les jugements ne manquent pas, favorisés par des réseaux sociaux, des et des personnes qui portent facilement des jugements sans grands discernement. Et on cherche des coupables : c’est la faute du Concile Vatican II, du pape, des évêques, diront certains : « L’Eglise d’avant était mieux », alors que d’autres trouvent qu’on ne va pas assez loin dans l’ouverture et l’innovation.
Plus que jamais, sans doute, il y a un défi d’unité et de communion.
Devant tout cela, on peut être guetté par la tentation du fatalisme, de la désespérance qui provoque un repli sur soi.
Il ne faut évidemment pas noircir le tableau à l’extrême.
De tout temps, les chrétiens ont pensé leur foi et témoigné de l’Évangile en tenant compte du monde dans lequel ils vivaient, relevant par là même nombre de défis.
Le monde d’aujourd’hui ne fait pas exception. Les multiples questions qu’il soulève rendent nécessaire une double démarche : penser la foi chrétienne dans le contexte présent et porter un regard chrétien sur les réalités d’aujourd’hui.
L’Eglise se trouve face à une nouvelle étape de l’évangélisation dans une époque complexe traversée par de profonds changements.
Le cheminement ecclésial lui-même est marqué par des difficultés et tout autant par un besoin de renouveau spirituel et pastoral ; une soif de Dieu. On le voit, notamment chez le plus jeunes
Les questions qui se posent à nous : Comment une Église numériquement plus faible, peut-elle assumer la mission d’être dans notre monde un signe de la présence et de l’action de Dieu. Comment témoigner de l’espérance qui nous habite ?
Une conviction de foi et d’espérance doit nous habiter : l’Esprit Saint continue de susciter la soif de Dieu et aussi de nouvelles expressions pour annoncer la Bonne Nouvelle.
Comme l’écrivait récemment le cardinal Aveline, Archevêque de Marseille : « L’Eglise traverse toute une série de crises. Sans doute en sortira-t-elle plus forte, c’est-à-dire, selon le paradoxe de l’Évangile, plus pauvre, plus vraie, plus courageuse et plus abandonnée avec confiance entre les mains de son Seigneur. L’Église n’est pas une entreprise qui ne serait préoccupée que de sa survie. Quand cette question de survie l’obsède, c’est là qu’elle perd pied, comme Pierre quand le Christ l’invite à le rejoindre sur les eaux ! Son salut est dans sa conversion. Ce n’est pas parce qu’on est chrétien que l’on n’a plus à se convertir à l’Évangile des Béatitudes. Les jeunes l’ont bien compris, comme par instinct : ils nous aident à regarder devant, à balayer devant notre porte, à faire confiance avec joie et simplicité. Peut-être alors, sommes-nous à un tournant ! »
De manière positive, on doit souligner le constat général, et cela est vrai dans notre diocèse, de demandes nombreuses d’entrée en catéchuménat de la part d’adultes et des demandes d’Eucharistie et de Confirmation. Elles viennent sans que nous les sollicitions.
C’est ce sur quoi il nous faut bien travailler, parce que les enjeux sont importants pour le présent et l’avenir de nos communautés chrétiennes. L’enjeu est d’accueillir, d’initier et d’accompagner et donc aussi de pouvoir remettre en question des manières de faire, nos manières de faire, pour nous laisser habiter par la nouveauté suscitée par l’Esprit Saint.
Nous devons toujours être conscients que l’Eglise est beaucoup plus vaste et diversifiée que ce que nous en percevons et il nous faut accepter qu’elle s’incarne dans des formes différentes de celles que nous pouvons promouvoir.
Un exemple très simple, mais significatif : nos horaires de réunions, pas toujours adaptés pour de personnes plus jeunes et qui ont des activités professionnelles. Une réunion en semaine à 14h, n’est sans doute pas l’horaire le plus favorable.
Je pense aussi à nos lieux d’accueil. Posez-vous la question : quelqu’un qui cherche des renseignements, où va-t-il pouvoir se diriger ? Qui va-t-il pouvoir rencontrer ? A quelle porte va-t-il pouvoir frapper ? Quel numéro de téléphone ou quelle adresse lui est accessible ?
Il y a un gros effort à faire sur la communication et la facilité à trouver les renseignements. Un accueil bien réalisé est un gage d’avenir.
Cet été, il y a eu l’événement mondial des JMJ. Outre la vue des foules de ce grand rassemblement, il y a ces beaux moments de recueillement et d’intériorité dont les jeunes sont demandeurs ; de même qu’ils sont demandeurs d’être formés dans la foi. Ils sont demandeurs de liturgies de qualité.
Je me permets d’insister sur l’importance de la liturgie, de sa beauté et de sa simplicité à la fois : chants, proclamation des lectures, environnement, musique et aussi une certaine sobriété de paroles.
Dans le diocèse, je pense aussi au « Pélé VTT » du mois de juillet. Une belle semaine riche de découvertes, d’amitié et de foi. Au terme de cette expérience sportive et spirituelle, un certain nombre de jeunes ont exprimé le désir de se mettre en chemin vers le baptême.
De beaux signes d’espérance. L’Esprit Saint nous précède. A nous, à la fois de semer et aussi de récolter ce qui est déjà répandu dans les cœurs par l’Esprit Saint. Et il y a certainement beaucoup d’autres choses dont vous êtes les témoins directs ou indirects et sur lesquels vous pourrez échanger tout à l’heure.
Assumer dans le monde d’être signe de la présence et de l’action de Dieu
Dans un texte sur l’entrée dans le nouveau millénaire après le Jubilé de l’an 2000, le Pape Jean-Paul II écrivait que, pour nous disciples du Christ, il faut : « Reconnaitre l’action de l’Esprit Saint qui, soufflant là où il veut, suscite dans l’expérience humaine universelle, en dépit des nombreuses contradictions de cette dernière des signes de sa présence qui aident les disciples du Christ à comprendre plus profondément le message dont ils sont porteurs ».
Qu’est-ce que la mission ?
Le point de départ n’est pas dans l’Eglise, mais dans le mystère de Dieu. Comme nous le dit St Jean : « Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais obtienne la vie éternelle. » ( Jn 3, 16)
Dès lors, si nous nous plaçons devant ce mystère de Dieu qui donne son Fils, nous pouvons comprendre que la mission de l’Eglise, c’est d’être au service de la relation de Dieu envers le monde, au service de l’amour dont Dieu aime le monde.
Pour réaliser cela, l’Eglise a trouvé et continue à trouver les moyens de vivre et d’exercer la mission. Et elle en trouvera encore d’autres. La pluralité de ces moyens ne doit pas nous effrayer et nous tenir dans le jugement sur ce qui surgit et que nous n’avions pas prévu.
Cela demande un travail de conversion, c’est-à-dire de décentrement de soi. L’Eglise n’a pas son centre de gravité en elle-même. Autrement dit, ce n’est pas l’Eglise que nous annonçons, mais le mystère d’un Dieu qui aime, qui donne sa vie par amour et qui est vivant avec nous.
C’est cela le cœur de la Bonne Nouvelle que l’Eglise a mission de transmettre ; pas de transmettre comme un savoir, mais comme une relation aimante et vivante.
La mission, c’est de travailler au service de l’amour de Dieu et cela est source de joie. Nous ne travaillons pas pour nous, pour notre paroisse, notre service.
Il nous faut bien sûr des projets, mais n’en faisons pas des absolus et surtout ne pensons pas que tout est immuable. Vous connaissez le fameux : « On a toujours fait comme ça », donc cela veut dire qu’on ne change rien et qu’on ne veut rien changer. C’est paralysant et stérilisant et cela décourage les bonnes volontés qui aimeraient s’engager et donner de leur temps et de leurs talents.
Si on travaille au service de l’amour de Dieu, c’est-à-dire de la vie de Dieu, il faut que la vie circule. Si on oublie cela, on risque de se fatiguer, de devenir triste, parce qu’on se regarde soi-même, parce qu’on compte trop sur soi et sur ses forces. Si la mission est vécue dans la tristesse, dans la raideur, elle n’apporte pas grand-chose.
Dans la Joie de l’Evangile, le pape François écrit que le problème n’est pas toujours l’excès d’activité, mais les activités mal vécues, sans une spiritualité qui imprègne l’action.
L’autre point essentiel de l’attitude missionnaire, c’est que nous coopérons à l’action de l’Esprit Saint ; c’est lui le premier protagoniste et responsable de la mission ; c’est lui qui prépare le terrain.
C’est ce que nous dit un passage des Actes des Apôtres au chapitre 10 : Pierre est chez le centurion Corneille. Il annonce le Christ mort et ressuscité ; il commence son discours : Vous savez ce qui s’est passé à travers le pays des juifs : Jésus de Nazareth, Dieu lui donné l’onction d’Esprit Saint et nous, nous sommes témoins de tout ce qu’il a fait…Celui qu’ils ont supprimé au bois du supplice, Dieu l’a ressuscité.
Relisez et méditez ce chapitre. Il apprend beaucoup sur la mission préparée par l’Esprit Saint. Pour qu’elle se réalise il faut aussi des hommes comme Pierre et Corneille. L’Eglise a besoin de témoins et de missionnaires.
Enfin, n’oublions pas que nous sommes les destinataires de ce que nous annonçons. Reconnaissons ce que le Seigneur a fait pour nous.
Vous avez là les éléments essentiels de ce qu’on appelle le Kérygme : Dieu a envoyé son fils Jésus, il est mort et ressuscité ; nous en sommes témoins,
Pour une pastorale kérygmatique
Dans la Joie de l’Evangile, se trouve cette définition du Kérygme (le terme signifie, proclamation). Auparavant, le pape écrit que le Kérygme ou la première annonce de la foi a un rôle fondamental qui doit être au centre de l’activité évangélisatrice et de tout objectif de renouveau ecclésial.
Voici ce qu’écrit le pape : « Le Kérygme est trinitaire. C’est le feu de l’Esprit qui se donne sous formes de langues et nous fait croire en Jésus Christ qui par sa mort et sa résurrection nous révèle et nous communique l’infinie miséricorde du Père ».
Dans cette première définition, il y a une allusion très claire à la Pentecôte : le feu de l’Esprit, les langues, et la proclamation de la mort et de la résurrection de Jésus. C’est ce que Pierre proclame en sortant du Cénacle où il s’était enfermé avec les autres apôtres : Ce Jésus, Dieu l’a ressuscité, nous en sommes témoins. (Ac 2, 32). Le « nous en sommes témoins » est tout aussi important que ce qui précède. Le témoin n’est pas extérieur au fait qu’il annonce, il est lui-même pris dans l’événement. Sa vie a partie liée avec ce qu’il proclame.
Le Kerygme est constitutif de la nature et de la mission de l’Eglise, qui existe pour annoncer l’Evangile. Le Kérygme n’est pas le dernier gadget à la mode pour une évangélisation moderne. Il est absolument traditionnel. Il est la toute première annonce de la Bonne Nouvelle, portant sur l’essence même du mystère chrétien.
Aujourd’hui, dans un contexte d’ignorance du Christ, il est vital que la pastorale soit kérygmatique, c’est-à-dire qu’elle garde son authenticité et son originalité, sinon on court le risque – et c’est malheureusement déjà le cas- que la foi se dilue dans un grand sentiment religieux et spiritualiste où prédomine le sentiment personnel.
Dans le Nouveau Testament, il existe plusieurs formulations du Kérygme, par exemple : « Le Fils de Dieu m’a aimé, il s’est livré pour moi » (Ga 2, 20) ; « Le Christ est mort pour nos péchés » (1 Co, 15, 3) ; « Jésus de Nazareth, là où il passait, il faisait le bien et guérissait tous » (Ac 10, 38).
Ces affirmations établissent un entre le Christ et nous. Elles mettent en lien le mystère du Christ et ce que nous vivons. Le Kerygme n’est pas figé dans une formule qu’on répète. Il doit pouvoir s’adapter avec toujours au cœur cette annonce du Christ et du témoignage de foi de la part de celui qui l’annonce.
Il ne faut pas répéter cette annonce comme un refrain, mais comme une chanson qui trouve chaque fois une mélodie nouvelle. Ainsi, par exemple, dans l’accompagnement de couples qui se préparent au mariage chrétien, ça sera le Kérygme de l’amour : Dieu vous aime, il est heureux de votre amour et le bénit ; il vous accompagne dans votre chemin ; il est fidèle, quoiqu’il en soit de votre amour il est votre sauveur.
Pour les familles en deuil, le Kérygme de l’Espérance qui nous vient de Jésus mort et ressuscité.
S’il n’y a pas d’évangélisation de base, s’il n’y a pas de relation personnelle au Dieu vivant de Jésus Christ, la catéchèse n’a pas de sens. Quelle portée peut avoir un enseignement religieux reçu à l’école ou en paroisses s’il y manque les racines pour l’intégrer, c’est-à-dire la foi en Jésus vivant ?
Dans ce modèle kérygmatique, ce n’est pas la question du « comment » transmettre qui préoccupe, mais bien celle du « quoi » transmettre. Ce quoi, ici signifie, aller à l’essentiel, au cœur de la foi, de proposer la rencontre avec le Christ ressuscité. Il ne suffit pas en ces temps de témoigner seulement par la vie, il faut parler explicitement du Christ et de l’Évangile.
On est ici en droite continuation du texte de Paul VI, Evangelii nuntiandi : « Le plus beau témoignage se révélera, à la longue, impuissant s’il n’est pas éclairé, justifié — ce que Pierre appelait donner “les raisons de son espérance” —, explicité par une annonce claire, sans équivoque, du Seigneur Jésus. La Bonne Nouvelle proclamée par le témoignage de vie devra donc être tôt ou tard proclamée par la parole de vie. Il n’y a pas d’évangélisation vraie si le nom, l’enseignement, la vie, les promesses, le Règne, le mystère de Jésus de Nazareth Fils de Dieu ne sont pas annoncés » (no 22).
Le pape François poursuit en disant : « Sur la bouche du catéchiste revient toujours la première annonce : “Jésus Christ t’aime, il a donné sa vie pour te sauver, et maintenant il est vivant à tes côtés chaque jour pour t’éclairer, pour te fortifier, pour te libérer”. Quand nous disons que cette annonce est “la première”, cela ne veut pas dire qu’elle se trouve au début et qu’après elle est oubliée ou remplacée par d’autres contenus qui la dépassent. Elle est première au sens qualitatif, parce qu’elle est l’annonce principale, celle que l’on doit toujours écouter de nouveau de différentes façons et que l’on doit toujours annoncer de nouveau durant la catéchèse sous une forme ou une autre, à toutes ses étapes et ses moments.
On ne doit pas penser que dans la catéchèse le kérygme soit abandonné en faveur d’une formation qui prétendrait être plus “solide”. Il n’y a rien de plus solide, de plus profond, de plus sûr, de plus consistant et de plus sage que cette annonce.
Toute la formation chrétienne est avant tout l’approfondissement du kérygme qui se fait chair toujours plus et toujours mieux, qui n’omet jamais d’éclairer l’engagement catéchétique, et qui permet de comprendre convenablement la signification de n’importe quel thème que l’on développe dans la catéchèse. C’est l’annonce qui correspond à la soif d’infini présente dans chaque cœur humain. La centralité du kérygme demande certaines caractéristiques de l’annonce qui aujourd’hui sont nécessaires en tout lieu : qu’elle exprime l’amour salvifique de Dieu préalable à l’obligation morale et religieuse, qu’elle n’impose pas la vérité et qu’elle fasse appel à la liberté, qu’elle possède certaines notes de joie, d’encouragement, de vitalité, et une harmonieuse synthèse qui ne réduise pas la prédication à quelques doctrines parfois plus philosophiques qu’évangéliques. Cela exige de l’évangélisateur des dispositions qui aident à mieux accueillir l’annonce : proximité, ouverture au dialogue, patience, accueil cordial qui ne condamne pas. »
Ces derniers termes donnent aussi les qualités attendues de toute pastorale : proximité, accueil, dialogue, patience.