L’Eucharistie, ce profond désir de Dieu 

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Publié le 8 mars 2024

Par l’Abbé Jean-Michel Poirier

Depuis l’évangile de Jean, au chapitre 6, le don de la manne aux fils d’Israël pérégrinant dans le désert après leur sortie d’Égypte (cf. Ex 16) est devenu pour les chrétiens une préfiguration du pain eucharistique. Ce lien typologique ne doit cependant pas être isolé mais relié à d’autres réalités spirituelles et, surtout, au Christ lui-même.

Dans la tradition d’Israël, cette nourriture symbolise d’abord les dons que Dieu accorde aux siens pour leur marche à la fois personnelle et communautaire. « Tu as distribué à ton peuple une nourriture d’anges, tu lui as procuré du ciel, sans effort de sa part, un pain tout préparé, ayant la capacité de toute saveur et adapté à tous les goûts. La substance que tu donnais manifestait ta douceur pour tes enfants, mais elle se pliait au désir de celui qui la consommait en se modifiant au gré de chacun. » (Sg 16,20-21). Le caractère personnalisé du don ressort du texte source dans le livre de l’Exode : « Les fils d’Israël firent ainsi ; ils en recueillirent, qui plus, qui moins. Ils mesurèrent à l’omer : rien de trop à qui avait plus et qui avait moins n’avait pas trop peu. Chacun en recueillait autant qu’il pouvait en manger » (Ex 16,17-18). Pareillement, les Actes des Apôtres incitent à ne pas séparer la « communion fraternelle » de la « fraction du pain » (2,42) : elles vont de pair comme le spécifie la suite immédiate (2,44-45).

Le danger pointé par l’épisode parallèle dans le livre des Nombres est double (11,4-9). D’une part qu’on s’habitue au don et le compare à d’autres mets : « le goût de gâteau à l’huile » de la manne est mis en balance avec celui des poissons, des concombres, des pastèques, des poireaux, des oignons et de l’ail d’Égypte. D’autre part qu’on oublie ce dont la manne est le signe efficace : la miséricorde infinie du Dieu libérateur. Oublier le donateur en mettant la main sur le don : n’est-ce pas là le premier péché, le péché primordial (Gn 3,6-8) ?

Une relecture par l’école deutéronomiste  fait de la manne la figure de ce bien précieux qu’est la Parole de Dieu : « Il t’a mis dans la pauvreté, il t’a fait avoir faim et il t’a donné à manger la manne que ni toi ni tes pères ne connaissiez, pour te faire reconnaître que l’homme ne vit pas de pain seulement, mais qu’il vit de tout ce qui sort de la bouche de Yhwh. » (Dt 8,3). La Parole divine ne s’écoute pas seulement, elle se déguste, elle nourrit, elle veut faire chez nous sa demeure. Le Nouveau testament n’enlève rien à cette dimension qui nous rappelle, s’il en était besoin, que le pain et le vin sont indissociables de la Parole pour qu’il y ait véritablement eucharistie.

Le discours sur le pain de vie que Jésus tient dans la synagogue de Capharnaüm (Jn 6,26-59) fait de la manne la figure du vrai pain de Dieu « qui descend du ciel et donne la vie au monde » (6,.33). Partant du thème de la manne au désert (cf. Ex 16 ; Nb 11 ; Dt 8) et passant par un « sens sapientiel, selon lequel « manger/boire » signifie intérioriser la Loi divine »[1], le discours de Jn 6 en arrive à exprimer un sens existentiel : la vie même de Jésus qu’il livre par amour, sans réserve, à l’extrême (cf. Jn 13,1). Cette vie se communique au disciple le plus explicitement par et dans la chair et le sang intégrés sous mode eucharistique. Jésus vient demeurer dans le disciple et le disciple demeurer en lui. Plus encore : Jésus demeurant dans le Père, c’est au sein même de la vie divine trinitaire que l’eucharistie fait entrer le disciple. Cette intégration possède une dimension corporelle puisque le texte insiste sur le manger et le boire (4 fois en Jn 6,54-58). L’adoration « en esprit et vérité » (Jn 4,23) n’évacue pas « la chair » pas plus qu’elle ne l’oublie puisque c’est sous ce régime que nous vivons et dans cette condition-là que s’est incarné le Verbe (cf. Jn 1,14). On peut dire qu’il l’emporte et l’intègre dans un mouvement qui introduit l’homme dans la vie divine. L’eucharistie est un sacrement pour l’homme incarné, pas pour des anges (cf. Col 2,18-23). Elle est liée à notre vie « dans la chair » et ouvre celle-ci à une vie « dans l’Esprit ».

 La consommation de l’eucharistie accomplit ce désir profond de Dieu : demeurer en nous, au plus profond pour nous faire vivre de sa vie. Mais ce mystère commence déjà son accomplissement dès lors que la Parole est écoutée, reçue, assimilée et mise en pratique par le disciple.


[1] X. Léon-Dufour, Le pain de la vie, Seuil, Paris, 2005, p.137.

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