Par le Père Jean-Michel Poirier
De Jérusalem à Rome, les Actes des Apôtres racontent un basculement qui appartient à la nature même de la communauté des disciples de Jésus-Christ ressuscité : l’Église.
Depuis la matrice du judaïsme le plus ancré dans la tradition d’Israël vers l’immense monde païen de ce temps, des disciples de Jésus travaillent à ouvrir au plus grand nombre l’espérance et la promesse. Pierre d’abord, Paul ensuite, en sont les principaux artisans. Cela ne s’opère pas sans frictions, vifs débats et résistances. L’image irénique de la communauté primitive que projettent les « sommaires » d’Ac 1,14 ; 2,42.46 ; 5,12 est vite tempérée par divers récits (l’affaire d’Ananias et Saphira, la querelle d’Antioche, les opposants à Paul, etc.), que corroborent des passages d’épîtres de Paul comme Ga 2 ou 2Co 11. N’allons donc pas rêver d’une Église sagement immobile et soigneusement rangée.
Partant de la cité sainte où Dieu est réputé résider en son Temple, le récit nous entraîne par des itinéraires de plus en plus larges vers le cœur de l’empire romain. Où est le centre et où se trouve la périphérie ? Du point de vue, assez étroit, du judaïsme pharisien, le cœur est bien sûr à Jérusalem alors que Rome en paraît bien éloigné à tous égards : religieux, culturels, politiques ou économiques. La primitive communauté qui y réside, avec Jacques à sa tête, apparaît comme le premier patriarcat, où on se rend pour régler les affaires importantes. Mais, dans la perspective plus globale du monde hellénistico-romain de ce temps, le centre se trouve à Rome tandis que la petite Judée n’est que l’un des nombreux territoires contrôlés par la puissance impériale. Si bien qu’aller vers les périphéries pour un chrétien peut conduire à se déplacer pour rejoindre les cœurs battants de notre monde, non pour les conquérir mais pour, de là, repartir vers les limites du monde, afin de les élargir aux dimensions de l’Évangile qui ne connaît pas de frontières.
Cela est déjà une autre histoire qu’écriront les siècles suivants du christianisme, récit à poursuivre aujourd’hui plus que jamais, « lettre du Christ [..] écrite non avec de l’encre, mais avec l’Esprit du Dieu vivant, non sur des tables de pierre, mais sur des tables de chair, sur [nos] cœurs » (2Co 3,3).