Dans une «lettre sur le renouvellement de l’étude de l’histoire de l’Église», publiée ce jeudi 21 novembre, l’évêque de Rome pointe l’urgence pour les étudiants en théologie d’approfondir «une véritable sensibilité historique» et exhorte à se défaire des déformations idéologiques portées notamment par les réseaux sociaux. Une invitation à redécouvrir les racines de l’histoire de l’Église pour qu’elle comprenne mieux son rapport au monde contemporain.
Olivier Bonnel – Cité du Vatican
Dans cette dense lettre de neuf pages, le Pape affiche d’emblée son objectif: mettre la lumière sur l’importance de l’étude de l’histoire de l’Église dans la formation des prêtres et des autres agents pastoraux. Comme il l’a fait l’été dernier en rappelant l’importance de la littérature, c’est cette fois-ci c’est l’Histoire qui est au coeur de sa réflexion. L’ambition de ce texte, précise François, est avant tout «une invitation à promouvoir chez les jeunes étudiants en théologie une véritable sensibilité historique ».
Mais c’est d’abord un plaidoyer pour l’Histoire au sens large que développe le Saint-Père dans cette lettre: « Personne ne peut vraiment savoir qui il est et ce qu’il entend être demain sans nourrir le lien qui l’unit aux générations qui l’ont précédé ». Pour le Pape, il est important de ne pas réduire notre rapport à l’Histoire qui ne soit «que la mémoire personnelle de faits liés à l’intérêt personnel ou à ses émotions, sans lien réel avec la communauté humaine et ecclésiale dans laquelle nous vivons».
Regarder une Église qui a appris de ses chutes
« Une sensibilité historique correcte aide chacun de nous à avoir le sens des proportions, le sens de la mesure et une capacité à comprendre la réalité sans abstractions dangereuses et désincarnées, telle qu’elle est et non pas telle qu’on l’imagine ou qu’on voudrait qu’elle soit» explique François. «On peut ainsi tisser une relation avec la réalité qui appelle à la responsabilité éthique, au partage, à la solidarité ». Cette sensibilité «correcte» dont parle le Saint-Père passe d’abord par la rupture avec une vision parfois trop angélique de l’histoire de l’Église. Or, « nous devons aimer l’Église, comme une maman, telle qu’elle est, sinon nous ne l’aimons pas du tout, et nous n’aimons qu’un fantôme de notre imagination» écrit-il. Ainsi, poursuit François « l’histoire de l’Église nous aide à regarder l’Église réelle pour pouvoir aimer cette Église qui existe véritablement et qui a appris et continue d’apprendre de ses erreurs et de ses chutes ».
Dans l’esprit de François, ce rapport à l’Histoire permet ainsi à l’Église de se penser autrement. Il s’agit ainsi de rompre selon lui avec «cette terrible approche qui nous fait comprendre la réalité uniquement à partir de la défense triomphaliste de notre fonction ou de notre rôle». Une approche, précise-t-il qu’il a déjà développé dans son encyclique Fratelli Tutti.
Renouveler notre sensibilité historique
«De manière plus générale, il faut dire qu’aujourd’hui, nous avons tous – et pas seulement les candidats au sacerdoce – besoin de renouveler notre sensibilité historique» écrit encore le Souverain pontife dans sa lettre. L’importance de nous relier à l’Histoire doit être réaffirmée en redécouvrant quel type d’histoire nous privilégions. « Pour comprendre la réalité, il est nécessaire de l’inscrire dans la diachronie, alors que la tendance dominante est de se fier à des lectures des phénomènes qui les aplatissent dans la synchronie: bref, dans une sorte de présent sans passé », tranche le Saint-Père.
Pour le Pape François, « la nécessité d’une plus grande sensibilité historique est plus urgente à une époque où se développe une tendance à vouloir se passer de la mémoire ou à en construire une adaptée aux exigences des idéologies dominantes ».
“Aujourd’hui, nous avons un déferlement de mémoires, souvent fausses, artificielles, voire mensongères, et en même temps une absence d’histoire et de conscience historique dans la société civile et même dans nos communautés chrétiennes.”
Le Pape met ainsi en garde contre le développement de mémoires « souvent fausses, artificielles, voire mensongères », et critique avec vigueur « les histoires préfabriquées, soigneusement et secrètement, qui servent à construire des mémoires ad hoc, des mémoires identitaires et des mémoires d’exclusion ». À l’inverse, souligne-t-il, « le rôle des historiens et la connaissance de leurs travaux sont aujourd’hui décisifs et peuvent être l’un des antidotes pour lutter contre ce régime mortifère de haine qui repose sur l’ignorance et les préjugés ».
Contre l’histoire faite par les réseaux sociaux
La réalité, passée ou présente, « n’est jamais un phénomène simple que l’on peut réduire à des simplifications naïves et dangereuses » note encore François qui met en garde contre les jugements historiques portés par les médias et les réseaux sociaux, parfois par intérêt politique, dont le risque est de nous exposer « à la poussée irrationnelle de la colère ou de l’émotion ».
François exhorte ainsi à ne pas oublier la mémoire des moments sombres de l’Histoire, citant notamment celle de la Shoah ou des bombardements d’Hiroshima ou de Nagasaki, ou encore les persécutions, le trafic d’esclaves ou les massacres ethniques. « Il est facile aujourd’hui de céder à la tentation de tourner la page en disant que beaucoup de temps est passé et qu’il faut regarder en avant. Non, pour l’amour de Dieu! On ne progresse jamais sans mémoire, on n’évolue pas sans une mémoire complète et lumineuse », note-t-il avec force. Pour le Pape, la recherche de la vérité historique tout comme le travail de mémoire sont nécessaires pour que l’Église puisse initier «des chemins sincères et efficaces de réconciliation et de paix sociale».
L’enseignement de l’histoire de l’Église
Le Souverain pontife développe ensuite plusieurs considérations sur l’étude de l’histoire de l’Église. Il met d’abord en garde contre « une approche purement chronologique, voire une orientation apologétique erronée, qui transformerait l’histoire de l’Église en un simple support à l’histoire de la théologie ou de la spiritualité des siècles passés ». Deuxième observation: «l ’histoire de l’Église enseignée partout dans le monde semble souffrir d’un réductionnisme général, avec une présence encore subsidiaire par rapport à une théologie, qui se montre alors souvent incapable d’entrer véritablement en dialogue avec la réalité vivante et existentielle des hommes et des femmes de notre temps », relève-t-il.
Le Pape François déplore aussi que dans la formation des futurs prêtres, l’attention aux sources reste parfois insuffisante, et invite ceux qui sont en formation pastorale à développer leur passion pour l’Histoire au même titre que celle développée pour la théologie.
Le Pape François rappelle enfin que cultiver l’histoire de l’Église aide à retrouver son expérience du martyre, et que l’histoire de ses souffrances est aussi sa fécondité: «C’est précisément là où l’Église n’a pas triomphé aux yeux du monde qu’elle a atteint sa plus grande beauté».
Le Saint-Père conclut sa lettre par une dernière mise en garde dans notre rapport à l’Histoire, tiré d’un discours prononcé en 2017 devant des étudiants et professeurs de Bologne: « Voilà votre grand devoir: répondre aux refrains paralysants du consumérisme culturel par des choix dynamiques et forts, avec la recherche, la connaissance et le partage ».
Source : Vatican News
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