Réjouissez-vous ! Le quatrième dimanche du Carême, cette année le 10 mars 2024, est dit de Laetare. Il invite déjà à entrevoir la joie de la résurrection du Christ à Pâques. Explications avec le Frère Patrick Prétot, osb, moine de la Pierre-qui-vire. Théologien et professeur à l’Institut catholique de Paris (ICP), il enseigne à l’Institut supérieur de liturgie. Par Florence de Maistre.
Qu’est-ce qui caractérise le dimanche de Laetare ?
Ce nom vient du chant d’entrée, introït, de la messe du quatrième dimanche de Carême qui était tiré du livre d’Isaïe (Is 66, 10-11) : Lætare, Ierusalem (…). L’antienne d’ouverture de cette messe dans le Missel romain actuel reprend cet introït, avec dans la version francophone de 2021, la traduction suivante : Réjouis-toi, Jérusalem ; vous tous qui l’aimez, rassemblez-vous. Jubilez de sa joie, vous qui étiez dans la tristesse ; alors vous exulterez, vous serez rassasiés de consolation. Les textes propres de cette messe sont précédés par la note suivante : En cette messe, on utilise la couleur violette ou rose, le son des instruments est admis et l’autel peut être orné de fleurs. Cette mention désigne le caractère de pause au milieu du Carême. En effet, ce dernier étant de 40 jours, le quatrième dimanche vient au 25e jour soit un peu après le milieu du parcours. La discipline habituelle du Carême en tant que temps de pénitence, est comme adoucie par certains aspects qui sont normalement omis : couleur liturgique, usage des instruments de musique, et fleurs. C’est une manière d’anticiper la joie des fêtes de Pâques. En fait, tout le Carême est sous le signe de la joie ! Ce n’est pas d’abord un temps triste et de pénitence, même si l’on fait des efforts. C’est le temps de la préparation au baptême pour les catéchumènes, de démarche baptismale et de conversion pour tous. Cet entraînement, cette forme d’ascèse sont plutôt joyeux. De même que la sobriété à laquelle la crise climatique nous appelle peut être source de joie.
Qu’en est-il de ce lien avec les personnes qui se préparent au baptême ?
C’est le point le plus important en ce qui concerne cette question du dimanche de Laetare. Le Missel précise : En ce dimanche, on célèbre le deuxième scrutin préparatoire au baptême pour les catéchumènes qui seront admis aux sacrements de l’initiation chrétienne lors de la Vigile Pascale. Au lieu du formulaire du dimanche, on emploie le formulaire prévu pour ce scrutin parmi les messes rituelles, avec des oraisons et des intercessions propres (…). Cette note indique en effet que, au-delà les particularités liturgiques de ce dimanche qui nous viennent comme héritage du passé, le Missel accorde la priorité à l’itinéraire des catéchumènes : c’est le plus important. L’Église souhaite que les assemblées chrétiennes accompagnent par la prière les catéchumènes qui seront baptisés à Pâques. C’est donc une autre manière, mais bien réelle, d’anticiper la joie pascale. On peut noter qu’on a le même scénario pour le troisième dimanche de l’Avent, connu comme dimanche de Gaudete, un nom qui vient du premier mot du chant d’entrée : “Gaudete in Domino semper (…)“. Dans la version francophone du Missel en usage depuis 2021, on a la traduction suivante : “Soyez toujours dans la joie du Seigneur ; je le redis : soyez dans la joie. Le Seigneur est proche” (Ph 4, 4.5).
Comment comprendre cette joie en plein Carême ?
Au fond, nous avons une conception du temps liturgique faussée. Nous concevons le Carême comme une attente de Pâques, comme si le Christ n’était pas déjà ressuscité… et c’est vrai au sens chronologique. Mais l’année liturgique se comprend à partir de la fin. Elle débute deux semaines avant le début de l’Avent avec la fête du Christ-Roi. La Semaine sainte, en particulier la nuit pascale, est en son cœur. C’est-à-dire que toute l’année est centrée sur le fait que nous célébrons le Christ vivant à jamais auprès de Dieu. En Carême : Christ est ressuscité ! Le Vendredi saint, nous prenons cette antienne : Ta croix, Seigneur, nous l’adorons et ta sainte résurrection, nous la chantons (…). Ce jour-là n’est pas l’enterrement de Jésus, mais déjà la célébration du mystère pascal : la joie d’être sauvé par le Christ ! Seulement, nous avons du mal à identifier que nous sommes sauvés et d’une certaine manière nous avons du mal à identifier notre besoin d’être sauvé par Dieu.
Qu’est-ce que les aspects liturgiques signifient ?
Comme évoqué plus haut, c’est un adoucissement de la pénitence du temps de Carême pour laisser entrevoir la joie de Pâques. La couleur violette des vêtements liturgiques peut être remplacée par du rose. Le chemin des catéchumènes est le plus important, en s’attachant aux aspects liturgiques, on risque de faire du dimanche de Laetare du folklore. Comme l’a dénoncé à plusieurs reprises le pape François, le venin de la mondanité spirituelle nous guette. Il y a d’un côté le néopélagianisme, où l’on célèbre la liturgie de façon tellement parfaite que l’on se regarde le nombril en même temps : c’est un détournement de la liturgie. Elle est d’abord un don à recevoir ! De l’autre côté, le gnosticisme revient à voir dans le fait liturgique et dans chaque détail un pouvoir plus ou moins ésotérique. Héritée des allégories médiévales, cette vision plait énormément, mais elle est biaisée. Nous sommes bien d’accord sur la quête de sens, le vrai désir de servir la liturgie. Il correspond sans doute au désir de, comment dire, réenchantement de notre monde. Au regard du temps passé devant nos écrans, de cette superficialité constante, on recherche une profondeur. Mais attention, évitons d’être prisonnier d’une forme de pensée, interrogeons-la. La véritable liturgie, c’est toujours celle de l’Évangile du Christ ressuscité.
Avec les catéchumènes, qu’est-ce que les fidèles redécouvrent ?
Par le baptême, nous sommes configurés au Christ et devenons prêtre, prophète et roi. Nous sommes donc déjà marqués par la Résurrection, au point qu’au jour de Pâques nous entendons saint Paul nous dire: “Vous êtes ressuscités avec le Christ“. Il ne s’agit pas d’un évènement du passé connu de Jésus, mais d’un évènement permanent. Nous sommes sauvés définitivement par le Christ : voilà la joie pascale ! C’est ce que l’Église manifeste en accompagnant les catéchumènes vers le baptême. La très belle inscription sur le baptistère du Latran du IVe siècle (Rome) dit magnifiquement ce mystère de l’Église, qui accompagne les futurs baptisés et se réjouit du salut en Jésus Christ, source de notre joie*.
Au cours de la nuit pascale, nous chantons après la cinquième lecture, le cantique d’Isaïe 12, “Exultant de joie, vous puiserez les eaux aux sources du salut !”. Et la dernière strophe invite : “Jubilez, criez de joie !“. Dans la cinquième lecture Vous tous qui avez soif, venez voici de l’eau (Is 55, 1-11), l’Église reconnaît les sacrements de l’initiation chrétienne. Non seulement elle accompagne et se réjouit avec les catéchumènes, mais c’est ensemble, que catéchumènes, fidèles et Église vivent le temps du Carême dans une démarche baptismale et partagent la joie de Pâques. Même si le baptême est célébré une fois pour toute, nous avons constamment besoin de revenir aux sources et de renouveler cette force agissante dans nos vies. Le sacrement pénitentiel réactualise le baptême au cœur de nos vies. Tout comme le signe de croix est aussi un mémorial du baptême : il marque l’entrée des catéchumènes dans la famille des chrétiens.
Qu’est-ce qui vous touche particulièrement dans cette démarche ?
J’aime beaucoup cette formule de la Règle de saint Benoît au n°6 du chapitre 49, parce qu’elle est mon expérience. Oui, le Carême dans un monastère a une réelle austérité. Mais les hymnes sont belles et il se vit de façon très joyeuse. “Que chacun, au delà de ce qui lui est prescrit, offre à Dieu quelque chose de son propre mouvement dans la joie de l’Esprit Saint, c’est-à-dire qu’il retranche à son corps sur la nourriture, la boisson, le sommeil, les conversations et les plaisanteries, et qu’il attende la sainte Pâque dans la joie d’un désir spirituel.”
*inscription sur le baptistère du Latran (vers traduits du latin)
C’est ici que jaillit ce peuple de noble lignée, voué au Ciel
Que l’Esprit engendre en ces eaux fécondées.
C’est dans l’eau que Notre Mère l’Église, dans un accouchement virginal,
met au monde ceux qu’elle a conçus par l’œuvre de l’Esprit divin.
Vous qui êtes nés à cette source, vivez dans l’espérance du royaume des cieux.
Il faut renaître pour avoir la vie éternelle.
Voici la source de vie qui lave toute la terre,
et prend sa source aux plaies du Christ.
Ô pécheur, viens te plonger dans ce flot sacré et purificateur
Dont les ondes rajeuniront tout vieil homme qui s’y plonge.
Si, sous le poids du péché hérité ou de ton péché personnel,
Tu tiens à l’innocence, lave-toi dans ces eaux.
Entre ceux qui renaissent, aucune différence. Ils sont devenus un,
Grâce à une seule source baptismale, à un seul Esprit, à une seule Foi.
Que personne ne craigne le nombre et la gravité de ses péchés :
Celui qui renaît de cette eau vive deviendra saint.