Le cardinal Raniero Cantalamessa, prédicateur de la Maison pontificale, a initié vendredi 15 décembre en salle Paul VI les traditionnelles prédications de l’Avent devant les membres de la Curie et en présence du Pape. Le capucin italien de 89 ans n’en offrira que deux cette année pour cheminer vers la Nativité. La première est consacrée à Jean-Baptiste comme moraliste et prophète. La seconde, vendredi 22, le sera à la Mère du Christ.
Dans les Évangiles, Jean-Baptiste le Précurseur apparaît dans deux rôles différents: celui de prédicateur de conversion et celui de prophète. Abordant Jean comme moraliste, le prédicateur du Pape a d’emblée mis en garde contre les oppositions simplistes entre Loi et Évangile. «Il est plus facile au ciel et à la terre de disparaître qu’à un seul petit trait de la Loi de tomber» (Lc 16, 17). Selon lui, l’Évangile n’abolit pas la loi, c’est-à-dire concrètement les commandements de Dieu mais inaugure une relation nouvelle et différente avec eux.
Ce qui est nouveau est l’ordre entre le commandement et le don, c’est-à-dire entre la loi et la grâce. À la base de la prédication du Baptiste se trouve l’affirmation: «Convertissez-vous, car le royaume des Cieux est tout proche»; à la base de la prédication de Jésus se trouve la déclaration: «Repentez-vous parce que le royaume de Dieu est venu à vous!» Il ne s’agit pas seulement d’une différence chronologique, entre un avant et un après mais aussi d’une différence axiologique, c’est-à-dire de valeur, a expliqué le cardinal Cantalamessa.
L’avènement du royaume de Dieu permet l’observance des commandements
Cela signifie que ce n’est pas l’observance des commandements qui permet au royaume de Dieu de venir; mais c’est l’avènement du royaume de Dieu qui permet l’observance des commandements. «Jésus n’attend pas que les pécheurs changent de vie pour pouvoir les accueillir; mais il les accueille et c’est ce qui amène les pécheurs à changer de vie», éclaire encore le prédicateur italien les quatre Évangiles à l’appui.
«Jésus n’attend pas que la Samaritaine mette de l’ordre dans sa vie privée pour passer du temps avec elle et même lui demander de lui donner à boire. Mais ce faisant, il a changé le cœur de cette femme qui est devenue évangélisatrice parmi son peuple. La même chose arrive avec Zachée, avec Matthieu le publicain, avec la pécheresse anonyme qui lui baise les pieds dans la maison de Simon et avec la femme adultère.»
Selon le cardinal Cantalamessa, nous ne pouvons pas tirer une norme absolue de ces exemples. «Changer de vie n’est pas la condition pour s’approcher de Jésus dans les Évangiles; cependant, cela doit être le résultat (ou du moins le bon propos) après l’avoir approché. La miséricorde de Dieu, en effet, est sans conditions, mais elle n’est pas sans conséquences!»
Sur ce point, la sainte Mère l’Église a beaucoup à apprendre des mères et des pères de famille d’aujourd’hui, ajoute le prédicateur pontifical, revenant sur les enfants déviants du chemin par la drogue ou les abus. «Est-ce qu’à cause de cela, ils leur ferment la porte au nez et les chassent de la maison ? Ils ne peuvent rien faire d’autre que respecter leur choix, comme Dieu le respecte avant eux, et continuer de les aimer. Cette situation dramatique de la société se reflète dans celle de l’Église. Nous sommes appelés à choisir entre le modèle de Jean-Baptiste et le modèle de Jésus, entre donner la prééminence à la loi, ou la donner à la grâce et à la miséricorde», assure le cardinal Cantalamessa, considérant ensuite Jean-Baptiste comme prophète.
Le courage prophétique
«Il est facile de croire à quelque chose de grandiose, de divin, quand cela apparaît dans un futur indéfini – «en ces jours-là», «dans les derniers jours »… -, dans un décor cosmique, les cieux ruisselant de douceur et la terre s’ouvrant pour faire germer le Sauveur. C’est plus difficile quand il faut dire: «Maintenant ! Il est là ! C’est ça !» L’homme est immédiatement tenté de dire: « C’est tout?» «Est-ce que quelque chose de bon peut sortir de Nazareth?» disait-on autour de lui.»
Selon le prêtre capucin, c’est le scandale de l’humilité de Dieu qui se révèle «sous des apparences contraires», pour confondre l’orgueil des hommes et leur «volonté de puissance». Croire que l’homme qu’ils ont vu peu avant manger, dormir, peut-être même bâiller à son réveil, est le Messie, celui que tous attendent ; croire que l’on a atteint le point crucial de l’histoire, et cela exigeait un courage prophétique plus grand que celui d’Isaïe. «C’est une tâche surhumaine et on comprend la grandeur du précurseur et la raison pour laquelle il est défini comme étant ‘’plus qu’un prophète’’».
Et le cardinal italien d’ajouter: «En disant: “Au milieu de vous se tient celui que vous ne connaissez pas!” (Jn 1, 26), il a inauguré la nouvelle prophétie chrétienne qui ne consiste pas à annoncer un salut futur, mais à révéler une présence cachée, la présence du Christ dans le monde et dans l’histoire, à arracher le voile des yeux des hommes».
«Il est au milieu de nous; il est dans le monde et le monde aujourd’hui encore, après deux mille ans, ne le reconnaît pas. Il y a une phrase du Christ qui a toujours inquiété les croyants : «Le Fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre?» (Lc 18, 8)
Ainsi le prédicateur de la Maison pontificale rappelle que la tâche prophétique de l’Église sera la même que celle de Jean-Baptiste, jusqu’à la fin du monde: «Secouer chaque génération de la terrible distraction et de l’aveuglement qui l’empêche de reconnaître et de voir la lumière du monde». Et que Jean-Baptiste est maître en l’ardeur comme méthode d’évangélisation.
«L’Écriture grandit avec ceux qui la lisent»
«Il emploie des images très simples en disant: “Je ne suis pas digne de dénouer la courroie de ses sandales…” Mais malgré la pauvreté de sa théologie, comme il parvient à faire ressentir la grandeur et l’unicité du Christ ! Le monde et l’humanité apparaissent, à partir de ses paroles, tous contenus comme à l’intérieur d’un ventilateur ou d’un tamis que lui, le Messie, tient et secoue dans ses mains», a conclu le cardinal, exhortant chacun à être évangélisateur à la manière de Jean Baptiste, et précisant que s’il peut y avoir nouvelle évangélisation, il ne peut y avoir nouvel Évangile.
«La Révélation –Écriture et Tradition ensemble– grandit au gré des demandes et des provocations qui lui sont posées au fil de l’histoire. Jésus a promis aux apôtres que le Paraclet les guiderait « dans la vérité tout entière » (Jn 16, 13), mais il n’a pas précisé en combien de temps, c’est-à-dire dans une ou deux générations, ou bien pendant toute la durée du temps où l’Église est en pèlerinage sur la terre.»
Et le théologien italien d’évoquer enfin ce risque pris dans la spiritualité occidentale, de voir le christianisme, surtout de manière «négative», comme la solution au problème du péché originel; comme quelque chose donc de sombre et de déprimant. «Ceci explique, au moins en partie, son rejet par de larges secteurs de la culture, comme ceux représentés, en philosophie, par Nietzsche et, en littérature, par le dramaturge norvégien Ibsen. L’attention accrue portée depuis quelque temps à l’action de l’Esprit Saint et à ses charismes dans toutes les Églises chrétiennes est un exemple concret de l’Écriture qui ‘’grandit avec ceux qui la lisent’’».