Par l’Abbé Jean-Michel Poirier.
Dans un texte magnifique, qui conclut le Milieu divin, Teilhard de Chardin assure que « les Israélites ont été de perpétuels « expectants » ; – et les premiers chrétiens aussi. Car Noël, qui aurait dû, semble-t-il, inverser nos regards et les concentrer sur le Passé, n’a fait que les reporter plus loin encore en avant. »
Le premier dimanche de l’Avent opère la jointure avec le dernier dimanche du temps liturgique, qui tourne nos regards vers le Christ Roi de l’Univers. « Quand le Fils de l’Homme viendra dans sa gloire… » : ainsi commence la vision que Jésus déploie pour ses disciples en Matthieu 25 (v.31). Il est quand même paradoxal que les chrétiens apparaissent souvent comme les gardiens du passé plutôt que des prophètes regardant vers l’avenir. Non pas un avenir prévu, gagné de haute lutte ou obtenu par la force. Mais un à-venir qui prend forme d’une personne surgissant à notre rencontre, en qui nous reconnaissons. Celui qui est déjà venu, qui a parlé, guérit, souffert et aimé, qui est mort et ressuscité, et qui revient désormais augmenté de tous ceux qu’il s’est agrégé. Il est notre rédempteur (1e lecture du 1er dimanche de l’Avent), sans cesse présent à nos côtés, mais qui vient cette fois achever et tout récapituler en lui pour l’offrir au Père dans une communion plénière et définitive, débarrassée du mal et de ses oripeaux. Il est descendu, il descendra encore pour nous rencontrer. « Tous, nous étions desséchés comme des feuilles,
et nos fautes, comme le vent, nous emportaient » assure Isaïe (64,5), dans une puissante poésie qui traduit mieux que des concepts l’état dans lequel nous pouvons nous trouver – personnellement ou collectivement. La venue du Seigneur ne coïncide pas tant avec un extinction – de l’humanité, de la planète, de la vie – qu’avec une résurrection, sous une forme nouvelle, plus belle et éternelle.
En attendant, « nous sommes l’argile, c’est toi qui nous façonnes : nous sommes tous l’ouvrage de ta main » (Is 64,7). D’une part nous sommes invités à nous laisser toujours mieux façonner, non pas en nous raidissant mais en nous présentant avec souplesse à l’Artiste divin dont parle cette fois saint Irénée de Lyon :
Attends patiemment la Main de ton Artiste, qui fait toutes choses en temps opportun – en temps opportun, dis-je, par rapport à toi qui est fait. Présente-lui un cœur souple et docile et garde la forme que t’a donnée cet Artiste, ayant en toi l’Eau qui vient de lui et sans quoi, en t’endurcissant, tu rejetterais l’empreinte de ses doigts. En te laissant former par lui, tu monteras à la perfection, car par cet art de Dieu va être cachée l’argile qui est en toi. Sa Main a créé ta substance ; elle te revêtira d’or pur au-dedans et au dehors, et elle te parera si bien, que le Roi lui-même sera épris de ta beauté. (Adversus Haereses, IV, 39,2)
D’autre part nous sommes plus que jamais pressés de prendre une part active à cette nouvelle création qui gémit encore dans les douleurs de l’enfantement. Quand il viendra, le Seigneur veut nous trouver éveillés, actifs, acteurs, à l’œuvre, portés par le souffle de l’Esprit.
Tout cela demande de nous convertir incessamment pour quitter les tombeaux du passé et prendre part à la construction du Royaume qui s’achèvera en Jérusalem céleste où tout sera réuni en Dieu. « Voici que je viens sans tarder. Heureux celui qui garde les paroles de ce livre de prophétie ! » (Ap 22,7)